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L'érosion printanière : Nos sentiers n'y échappent pas



J’image déjà la scène : « Enfin! C’est l’printemps! » Ça fait 7 mois que vous attendez ce moment. D’abord la chasse, puis l’hiver du réchauffement de la planète qui nous fait valser entre les crampons et les raquettes. Bon! Maintenant c’est parti pour 6 mois de bonheur à travers les forêts et les montagnes du Québec. Oups! Pas tout à fait…

Pour quelques fins de semaine, il vous faudra composer avec un phénomène aussi frustrant qu’il nous semble souvent déraisonnable :

« FERMÉ POUR CAUSE DE DÉGEL »

Cette affiche, vous l’apercevez à l’entrée de plusieurs sentiers du Québec et de la Nouvelle-Angleterre à la fin du mois d’avril et au début mai. Même les sentiers des parcs provinciaux n’y échappent pas. Les dates varient d’une région à l’autre et d’un milieu géographique à un autre. Bien que ces fermetures nous semblent parfois abusives, elles n’ont rien d’ésotérique et sont basées sur des principes de protection de l’environnement et des infrastructures de nos sentiers. Je n’ai pas la prétention d’être un géologue, mais je suis spécialisé dans la conception et l’aménagement de sentiers depuis près de vingt ans. Je peux vous assurer que les cycles gel-dégel sont des phénomènes qui affectent sérieusement l’équilibre des sols et, par le fait même, l’intégrité d’un sentier. Ajoutez à cela la fonte des neiges et vous avez en main (pour ne pas dire sous la botte) les ingrédients pour défaire une aire de marche et y laisser des cicatrices pour des années à venir. Il faut voir le sentier comme faisant partie intégrante de l’écologie d’un milieu vivant et dynamique. Lorsque je donne des formations en aménagement, j’aime le décrire comme une entité vivante. Il naît, il mature et il se dégrade. À défaut d’un entretien adéquat et continuel, il disparaît ou il devient une sorte de cancer pour le milieu environnant. L’eau est en ce sens un des éléments catalyseur du vieillissement d’un sentier. Il faut donc à tout prix éviter la confrontation avec elle lors de la conception d’un nouveau sentier. La clé du succès ne réside pas dans l’installation de toutes nos belles rigoles et de nos fameuses barres d’eau, mais plutôt dans une analyse minutieuse du territoire afin d’identifier un tracé qui respectera le plus possible le milieu et la dynamique des eaux de ruissellement. C’est l’écoulement (ou l’absence d’écoulement) de l’eau qui est la principale cause de dégradation d’un sentier.

Les marcheurs évitant les passages boueux élargissent l’emprise du sentier et fragilisent la flore environnante pouvant entraîner la mort hâtive des arbres matures.


OUI, MAIS LE GEL ET LE DÉGEL LÀ-DEDANS Les périodes de gel-dégel, particulièrement lorsqu’elles sont associées à la fonte des neiges, amplifient l’effet de fragilisation causé par l’eau et accélèrent l’érosion. Vous êtes-vous déjà promené sur un chemin de « gravelle » un beau dimanche après-midi sous le soleil à la fin du mois de mars (dans le sud du Québec on s’entend!)? Je suis toujours étonné de constater, malgré le drainage impeccable du chemin, à quel point mes bottes s’enfoncent dans ce qui me semble être devenu un énorme champ de boue. Mais qu’est-ce qui se passe?

Phénomène de cryoturbation : lorsque le sol gèle, l’humidité qu’il contient cristallise et prend de l’expansion.


Lorsque le sol gèle, l’humidité qu’il contient cristallise et prend de l’expansion. Au dégel, les cavités ainsi formées seront immédiatement comblées par l’eau de la fonte des neiges ou de la pluie. Ce qui constituait une surface solide devient soudainement une sorte de sable mouvant dont la composition est un mélange de particules solides en suspension dans une mare d’eau emprisonnée par la couche inférieure du sol encore gelée. Imaginez-vous la surface d’un lac au printemps. Ceux qui utilisent le pont de glace sur le lac des Deux-Montagnes vivent ce phénomène tous les ans. Le soleil réchauffe la glace et transforme sa couche supérieure en « slush ». Le pont de glace ferme non parce que la glace ne pourrait plus supporter les véhicules, mais bien parce qu’elle n’est plus carrossable. Les véhicules qui oseraient s’y aventurer s’enliseraient. La glace est solide, mais la surface est ramollie. Marcheur du printemps, ça vous dit quelque chose? Bien sûr, vous ne risquez pas de vous enliser, j’en conviens. Mais le sentier ne s’en sortira pas à aussi bon compte. Vos pas laisseront des trous remplis d’eau qui, selon la fréquence des marcheurs, pourront prendre l’allure d’ornières laissées par le passage d’un véhicule. L’aire de marche deviendra très inconfortable, voir impraticable, et il y a de fortes chances que les prochains visiteurs décident de contourner cet obstacle. L’emprise du sentier s’en trouve alors élargie. Il y aura piétinement des espèces végétales environnantes, et la compaction du sol aura des conséquences pouvant aller jusqu’à la mort hâtive des arbres matures. Tant que la couche de neige est toujours présente, le sol est protégé et n’est pas affecté. Puis, une fois la neige fondue, il faut attendre qu’il soit complètement dégelé et bien drainé avant de s’aventurer sur nos sentiers préférés. Cela peut prendre quelques semaines selon le milieu. Question de gros bon sens et de nombre. Certains sentiers peuvent en effet recevoir plus d’un millier de marcheurs en une seule journée alors que d’autres à peine une centaine par année. Vous comprendrez que les conséquences ne sont pas les mêmes.

La neige compactée par les randonneurs prend plus de temps à se retirer de l’aire de marche et incite les marcheurs à marcher dans les sous-bois.


LE BUT: PROTÉGER LA FORÊT

Si vous considérez que la randonnée pédestre est une activité dont l’un des principes fondamentaux est la protection des milieux naturels et de la biodiversité, respectez les consignes de fermeture pour cause de période de fonte des neiges. Ainsi, vous épargnerez beaucoup de maux de tête aux travailleurs (souvent bénévoles) qui auront à réparer tant bien que mal les cicatrices laissées par les passants insoucieux. Si jamais vous n’aviez pas vu d’affiche, n’oubliez pas la règle du bon randonneur : ne cherchez pas à éviter les trous de boues en les contournant. Restez sur l’aire de marche pour éviter le piétinement de la flore environnante, vous en serez quitte pour un bon nettoyage de bottes!

Le piétinement des marcheurs accélère l’érosion des sentiers lorsque celui-ci est fragilisé par la fonte des neiges et le dégel printanier. Avec les années, la dégradation peut atteindre des proportions considérables.


PAR JEAN LACASSE, EXPERT EN AMÉNAGEMENT DE SENTIER, GESTION ÉCO SENTIER

Cet article est tiré de la revue Marche et Randonnée, printemps 2015


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